Cartes Postales de Guyane

Cartes Postales de Guyane

L’exotisme est un concept qui désigne le(s) fantasme(s) de l’Ailleurs. Son champ – bien souvent établit par l’histoire des colonisations – est imprécis, abstrait et subjectif. L’Ailleurs désigne le territoire de l’Autre. Il est ce qui est hors de chez Nous, ce domaine infini qui n’est pas l’Occident.

Je questionne notre façon de représenter l’Autre à travers des mises en scènes photographiques. Métropolitaine grandie en Guyane, l’articulation entre les cultures dans lesquelles j’ai baigné m’a toujours inquiétée et irrigue mon travail artistique de manière plus ou moins réfléchie.

Au cours de mes études en Métropole durant lesquelles j’ai développé ma réflexion, les modèles qui posaient pour moi étaient majoritairement blancs et les décors ostensiblement artificiels ; l’Autre était créé ex nihilo facilitant la clarté de mon discours ce qui n’est pas négligeable car mon champ d’investigation est glissant.

« Cartes postales de Guyane » est une série plus ambigüe que je souhaite mener à long terme. Ce qui m’intéresse ici ce sont les rapports qu’entretient la Guyane avec l’exotisme : vaste sujet !

Morceau d’Europe en Amérique du Sud, la Guyane est une terre historiquement multiculturelle. La notion d’exotisme y prend donc tout son sens en tant que point de vue. La multiplicité des cultures sous-entend des regards également multiples : ce qui y est exotique aux yeux de certains sera d’une banalité affligeante aux yeux des autres.

Les photographies de cette série retranscrivent mon regard personnel sur laGuyane et ses habitants, familier parce que c’est là que j’ai grandi et doublé d’un émerveillement exotique développé au cours des années passées en métropole pour mes études; Guyanaise et invétérée petite Blanche fraîchement débarquée. En métropole, n’étais-je pas aussi « la fille qui venait de Guyane » ?

Si mes images sont nourries par le réel, je ne fais pas du documentaire. Jemélange cartes postales, légendes urbaines, situations et personnes aperçues en Guyane (ou ailleurs !), les transpose, les décontextualise, les superpose, les secoue (!), ludiquement, de manière ouvertement frivole et légère. Au delà de la fantaisie, je tente d’amener le spectateur à s’interroger sur les similitudes de mes images avec des situations bien réelles. Par contraste, ces personnages hybrides, stylisés jusqu’à l’absurde, ces scènes excessivement sophistiquées, laissent malgré tout transparaître et mettent en valeur l’humanité du modèle qui a bien voulu se prêter à son jeu. De même que les représentations exotiques, charmantes et légères en surface, révèlent finalement des rapports de domination, c’est au travers du travestissement et de la frivolité que j’aborde des sujets tels que l’identité par opposition à l’altérité. Le déguisement est une affaire sérieuse que j’assimile à un rituel, un syncrétisme de la fascination pour l’altérité et de l’affirmation identitaire. On choisit bien souvent les attributs de son déguisement en opposition à sa propre identité, on construit par ce biais un personnage qui n’a rien de réaliste et qui est une ré-interprétation de notre vision de l’Autre avec les éléments que l’on a à sa portée.

« Cartes postales de Guyane » est une série de photographies réalisées au cours d’une résidence artistique accueillie par le CIAP en avril et mai 2017 et financée par la DAC Guyane.

Texte rédigé avec le très précieux Paul Andriamananarasoamiaramanana