POILS, SUEUR & PAILLETTES – docu

« Je suis arrivée en Guyane avec mes parents et ma soeur en février 1995. Je venais de fêter mes cinq ans et le carnaval battait son plein. Nous logions provisoirement dans un studio attenant au bureau de ma mère en plein centre ville. Nous étions donc situés idéalement pour une immersion totale dans le carnaval cayennais. Je me souviens de l’agréable caresse des mains gantées des Belles de la Madeleine, du gros derrière des balayeuses, des monstrueux gorilles en bleus de travail qui prenaient un malin plaisir à faire hurler ma petite sœur de terreur. Mais je me rappelle surtout de ces vilains messieurs suants et hirsutes méchamment tartinés de rouge à lèvre, coiffés de perruques échevelées, boudinés dans leurs bas résilles. Ils n’avaient guère fait d’effort pour camoufler jambes velues et barbes et titubaient sur des talons aiguilles trop petits pour leurs gros pieds. Avançant en groupe compact à petits pas tels les soldats d’une armée infernale, ils frappaient dans leurs mains en chantant des refrains obscènes. Du haut de mes cinq ans, j’avais déjà bien conscience de leur marginalité et de l’obscénité de leur comportement. Ces touloulous sales me répugnaient autant qu’ils me fascinaient. Je les observais le plus discrètement possible de peur d’être prise à parti et entraînée dans leur tourbillon de sueur, de poils et de confettis. »

Le terme « touloulous sales » désigne des personnes en petits groupes désorganisés voire seules, souvent jeunes et essentiellement des hommes qui se déguisent à peu de frais et défilent de façon spontanée dans les rues de Cayenne.

Ces personnages percutants et obscènes sont souvent décriés, méprisés ou ignorés des autorités carnavalesques et des media. Leur pratique spontanée et subversive semble pourtant être l’essence même du carnaval guyanais, intimement lié au passé colonial de cet endroit. Importé par les Européens, les esclaves se sont approprié la célébration du carnaval. Ils se grimaient avec ce qu’ils trouvaient : de la farine, des morceaux de tissus, de vieux vêtements de leur maîtres… La pratique du déguisement des touloulous sales qui composent leur costume avec peu de moyens (vêtements de travail des parents, robe de la mère ou de la soeur…) fait finalement écho à celle des esclaves, aux prémisses du carnaval guyanais.

Force est de constater que le travestissement en « femme » est le déguisement de prédilection des Touloulous Sales. Durant les jours gras, qui achèvent le carnaval les festivités s’intensifient. Le lundi, consacré aux « Mariages Burlesques », met à l’honneur l’inversion des genres. Les femmes sont également invitées à se déguiser mais semblent clairement moins se délecter de leur travestissement en messieurs. Les hommes n’attendent pas ce jour à thème et sortent tous les jours de carnaval vêtus des tenues les plus affriolantes qui contraste avec ces corps masculins. Loin de les féminiser, ces accoutrements exacerbent leur virilité.